Hessie : seconde jeunesse

Née en 1936 dans les Caraïbes, installée en France depuis plus de cinquante ans après avoir vécu à Cuba et New York, Hessie a développé sa carrière d’artiste en autodidacte dans l’ombre de son mari (l’artiste Miodrag Djuric dit « Dado »). Largement exposée dans les années 1970 en France et à l’étranger, elle avait quelque peu été oubliée des amateurs et du grand public. Son travail bénéficie depuis plusieurs années, grâce au pari d’un seul homme, d’un intérêt renouvelé. Deux expositions personnelles à Paris et à Lyon lui ont été consacrées en ce printemps.

À l’instar d’Etel Adnan, Sheila Hicks ou Judit Reigl, Hessie appartient au « club » très fermé d’artistes femmes de plus de 80 ans dont l’œuvre transcende toutes les générations : leurs pièces historiques n’ont rien perdu de leur force. Inscrite dans le courant féministe post 1968, Hessie a développé dans les années 1970 principalement, à partir de moyens simples, une œuvre d’une grande originalité. Entreposés chez elle, dans un environnement non-adapté à leur conservation, l’ensemble de ses  travaux étaient condamnés à disparaître. Sauvée de l’oubli par le galeriste parisien Arnaud Lefebvre et quelques collectionneurs avertis, Hessie connaît une seconde jeunesse amplement méritée. Depuis 2013, elle a été associée à pas moins de quatre expositions collectives à la galerie -sans compter les foires- et un premier solo-show il y a trois ans (un catalogue de référence Hessie – Survival Art 1969-2015 fut publié à cette occasion). Elle bénéficie ou a bénéficié en ce printemps de deux expositions : à la galerie Arnaud Lefebvre justement et à La BF15 (Lyon)

Si la galerie présentait une sélection d’œuvres sur papier de l’artiste (papiers perforés et collages d’objets en tous genres : bouts de ficelles, papiers d’emballage, petits objets, amas de poussières…), La BF15 -plus habituée à accueillir de jeunes artistes- montre un ensemble d’une quinzaine de pièces historiques des années 1970 ainsi qu’une nouvelle installation créée pour le lieu -une spécificité relative à ce centre d’art-. Sur des toiles de coton blanc ordinaires, découpées en larges carrés ou en rectangles, Hessie a brodé tout un répertoire de formes géométriques ou de signes : des motifs simplifiés d’étoiles ou de plantes dans le cadre des Végétations, des maillages d’hexagones pour les Grillages… Sur d’autres, elle a troué la toile d’un réseau de cercles. De loin, ces travaux de perforation et de couture d’une extrême délicatesse pourraient s’apparenter à du dessin sur du papier (une impression renforcée par l’architecture du lieu, ouvert sur la rue, et l’accrochage très aérien des œuvres : les toiles semblent flotter sur leurs murs, non sans rappeler les expérimentations de certains artistes du groupe Supports/Surfaces), il faut s’en rapprocher pour en saisir la qualité et les détails. Conservés pendant plusieurs décennies dans un environnement humide, les travaux d’Hessie ont dû subir une restauration complète avant d’être montrés. Des marques d’usure, des tâches d’humidités sur les toiles, des gonflements du papier encore présents se dégagent une émotion certaine : les œuvres d’Hessie portent en elles la mémoire du temps et de l’artiste.


Hessie, Collages et Papiers, du 1er avril au 7 mai 2016, galerie Arnaud Lefebvre, 10 rue des Beaux-Arts, Paris 6e – entrée libre.

Exposition Hessie, Silence, du 8 avril au 28 mai 2016, La BF15, 11 quai de la Pêcherie, Lyon 2e – entrée libre.


Image à la une : Hessie, Silence, 1972 © Photo Béatrice Hatala. Courtesy Galerie Arnaud Lefebvre