L’Institut d’art contemporain a 40 ans

Hasard du calendrier. Deux des principales institutions culturelles de Villeurbanne célèbrent cet automne leurs quarante ans. Toutes deux ont choisi de les fêter sans faste dans un contexte général globalement morose. Plus qu’une célébration ou un bilan, l’Institut d’art contemporain et l’URDLA proposent un instantané de leurs activités.

En 2008 pour son trentième anniversaire, l’Institut d’art contemporain (IAC) invitait Jean-Louis Maubant, fondateur du Nouveau Musée (à l’origine de l’Institut) et directeur de la structure de 1978 à 2006, à concevoir une exposition d’anthologie accompagnée d’une importante publication rétrospective présentant une chronologie complète et détaillée des activités du centre d’art. L’exposition Ambition d’art réunissait onze artistes, parmi les plus célèbres, ayant fortement marqué l’histoire et la programmation de la structure. La même année, l’URDLA faisait fonctionner à plein régime la presse centenaire monumentale, mise en dépôt par le ministère de la culture vingt-cinq ans plus tôt, pour l’édition de treize estampes grand format (160 x 120 cm) réalisées par treize artistes. Depuis le début des années 1980, l’Institut d’art contemporain et l’URDLA ont souvent collaboré. La coopération des deux centres d’art – séparés d’à peine deux kilomètres – se traduit en ce moment à travers un échange à l’occasion de l’exposition de Katinka Bock à l’IAC, la présentation à l’IAC de deux estampes éditées par l’URDLA (parmi la cinquantaine qu’il possède) et l’accueil par l’URDLA d’une vidéo prêtée par l’IAC dans le cadre de Collection a l’étude, déploiement biennal de la collection dans plusieurs institutions culturelles de Villeurbanne.

La forme ordinaire que prend cet anniversaire dans les deux structures en comparaison avec les célébrations de la décennie précédente démontre – si cela était nécessaire – à quel point l’époque a changé. Il paraît aujourd’hui impossible de voir naître en France, la même année et à l’échelle d’une métropole, deux centres d’art voués à un grand avenir. En l’espace de dix ans, de 1975 à 1985, l’ensemble ou presque des grandes institutions culturelles du Grand Lyon se sont formées : l’Espace Lyonnais d’Art Contemporain et le Musée Saint-Pierre Art Contemporain (à l’origine du Musée d’Art Contemporain), Nouveau Musée et FRAC Rhône-Alpes (à l’origine de l’IAC), Biennale de Lyon, Maison du Livre de l’Image et du Son de Villeurbanne… Pour reprendre une formule accompagnant l’une des œuvres présentées dans l’exposition Chaosmose en cours à l’IAC : « la parenthèse utopique des années 1960-1970 est bel et bien fermée ». Le constat s’applique aussi à la culture.

Au delà de leur anniversaire simultané et de leur volonté commune de promouvoir et diffuser la création contemporaine (avec des ambitions et des moyens très différents), l’Institut d’art contemporain et l’URDLA ont tous les deux perdu au cours des dix dernières années leur fondateur (Jean-Louis Maubant est mort en 2010, Max Schoendorff en 2012). Depuis 2006, Nathalie Ergino, et depuis 2005, Cyrille Noirjean, apportent une vision nouvelle à la structure qu’il et elle dirigent, en adéquation avec le changement d’époque que nous traversons (notamment vis-à-vis du contexte de baisse des subventions publiques indispensables à leur fonctionnement face auquel l’URDLA a été confronté dramatiquement en 2018 : à la veille de ses quarante ans, le centre d’art a été contraint de lancer un appel aux dons pour poursuivre ses activités).

Vue de l’exposition Katinka Bock, Radio / Tomorrow’s Sculpture, Institut d’art contemporain, 2018 © Blaise Adilon
Courtesy de l’artiste, Galerie Jocelyn Wolff, Paris ; Meyer Riegger Berlin/Karlsruhe ; Greta Meert, Brussels

Pas d’anniversaire fastueux à l’URDLA donc, pas guère plus à l’IAC. D’autant que Nathalie Ergino a profité en 2016 de ses dix ans à la tête de l’Institut d’art contemporain pour monter une exposition dont l’ambition était de « revenir sur les dix années de création, d’expositions, d’acquisitions et de recherches, menées » sous sa direction. Le principal reproche qui peut lui être fait sur ses dix premières années à la tête de l’IAC est l’absence totale d’expositions monographiques consacrées à des femmes artistes – à la seule exception de Marie Péjus, du duo Berdaguer & Péjus –, un constat d’autant plus embarrassant à la relecture du catalogue des trente ans. L’exposition Immersions 2006-2016 réunissait dix hommes et une seule femme [en 2008, l’exposition des trente ans, organisée par Jean-Louis Maubant ne comportait elle aussi qu’une artiste femme]. À noter que depuis cette exposition, la programmation tend à s’équilibrer : six des dix dernières expositions ont été consacrées à des personnalités féminines (Ann Veronica Janssens, Maria Loboda, Linda Sanchez). À souligner aussi que l’équipe de l’IAC est majoritairement composée de femmes (quatorze sur les dix-huit membres de l’organigramme en 2018).

« En ce trentième anniversaire, ce n’est pas par simple effet consensuel de commémoration qu’il y a lieu de se réjouir, c’est aussi parce qu’en trente ans la création artistique est de moins en moins un monopole masculin et que les femmes ont su conquérir une place éminente dans la société. Collaboratrices, artistes, philosophes, les femmes ne furent/ne sont pas les moins influentes à l’Institut d’art contemporain. D’ailleurs au fondateur historique, Jean-Louis Maubant, a succédé Nathalie Ergino. » Extrait du catalogue Ambition d’art, 2008

Ladite exposition consacrait la vision personnelle à long terme de Nathalie Ergino de sorte que chaque nouvelle saison semble prolonger la précédente et anticiper la suivante. Le rapport de l’art à la science (et inversement de la science à l’art), les mécanismes de perception d’une œuvre par celui ou celle qui la regarde ou les questions relatives à l’anthropocène irriguent la programmation. Des sujets de réflexions par ailleurs étudiés et développés dans le cadre du grand projet transdisciplinaire Laboratoire espace cerveau initié en 2009 avec Ann Veronica Janssens. De même que l’exposition Ambition d’art « traduisait les prédilections artistiques et les convictions de Jean Louis Maubant » et matérialisait son intérêt « pour la scène artistique italienne des années 70, la nouvelle sculpture des années 80, l’art conceptuel et contextuel, la relation entre art et architecture et plus généralement pour un art engagé, qui assume sa dimension sociale et politique », les douze ans de Nathalie Ergino à l’IAC témoignent d’un attachement sincère à certains courants de pensée ou réseaux d’artistes.

La longue liste des actions menées par l’Institut d’art contemporain depuis 2006-2008 ne pourrait être résumée en quelques lignes. En dix ans, la structure a continué à renforcer sa visibilité et sa dimension internationale (le signe le plus évident – et le plus agaçant peut-être – étant la prolifération de titres d’expositions anglophones, même pour les artistes français) : des partenariats ont été menés à l’occasion par exemple des expositions de Thomas Bayrle (WIELS, Bruxelles / MADRE, Naples / BALTIC, Gateshead) ou Katinka Bock (Mudam Luxembourg et Kunst Museum Winterthur). Parmi les événements les plus marquants de cette décennie, il faut citer l’exposition d’œuvres majeures de la collection à l’Hôtel de Région Rhône-Alpes (2013), la participation remarquée la même année de l’IAC à la célébration des trente ans des fonds régionaux d’art contemporain aux Abattoirs de Toulouse, l’échange mené avec le FRAC Auvergne à la suite de la réforme territoriale ou encore l’accueil en 2016 de l’exposition triennale de l’ADIAF qui a consacré le rôle des collectionneurs et des mécènes, de plus en plus indispensable à la vie d’un centre d’art notamment pour l’enrichissement des collections (à ce propos, douze œuvres ont été achetées et offertes à l’Institut d’art contemporain par son cercle d’« ami·e·s » depuis 2008).

Vue de l’exposition Collection à l’étude – Chaosmose, Institut d’art contemporain, 2018 © Blaise Adilon. Courtoisie de l’IAC

La programmation de l’Institut est aujourd’hui rythmée par plusieurs temps forts : 1. Rendez-vous, manifestation dédiée à l’émergence créée en 2002 et présentée à l’IAC depuis 2009 tous les deux ans parallèlement à la biennale d’art contemporain de Lyon 2. Collection, depuis 2005, exposition entre les murs biennale à partir de la collection 3. Galeries nomades, tous les deux ans depuis 2007, expositions hors les murs de jeunes artistes diplômé·e·s des écoles d’art de la région 4. Collection à l’étude, déploiement biennal de la collection dans différentes structures de Villeurbanne 5. Master-class Initiation au commissariat d’exposition d’art contemporain, depuis 2012, une exposition annuelle dirigée par un groupe d’étudiant·e·s à l’école normale supérieure de Lyon… L’automne 2018 coïncide justement avec l’organisation de CollectionCollection à l’étude et Galeries nomades, qui témoignent de la vitalité de l’Institut d’art contemporain et justifient, sans doute en partie, le choix de proposer pour le quarantième anniversaire un instantané de ses activités plutôt qu’une célébration ou un bilan.

Vingt-trois œuvres sont réunies dans l’exposition Chaosmose dont le principal intérêt réside, au-delà de la relative cohérence de l’ensemble, dans la découverte des dernières acquisitions de l’Institut. Comme le musée d’art contemporain à Lyon, l’IAC ne dispose pas d’espace dévolu aux collections ; de fait, les occasions de la voir in situ sont relativement rares. Parmi les achats récents : trois photographies d’Anaëlle Vanel, deux installations de Célia Gondol et une pièce de Maria Loboda, trois artistes ayant participé ou fait l’objet d’une exposition organisée par l’Institut d’art contemporain entre ou hors les murs récemment. Au même moment, au théâtre national populaire et à l’URDLA (Villeurbanne), sont présentées quatre œuvres de Jean-Luc Parant et de Camille Llobet, récemment entrées dans la collection. Au cours des dix dernières années, deux cent soixante-treize œuvres sont entrées par don ou achat dans la collection, dont soixante-dix installations et vingt-six vidéos. En 2018, le budget annuel d’acquisitions s’élevait entre 150000 et 190000€ : loin de limiter l’IAC à acheter des multiples, celui-lui a permis d’acquérir ces dernières années quelques pièces majeures comme le néon de François Morellet installé depuis sur la façade de l’Institut et des ensembles important pour plusieurs artistes à la suite – le plus souvent – d’une exposition sur place (treize œuvres de Saâdane Afif, cinq de Michel François…). À défaut de pouvoir être montrée en permanence à Villeurbanne, la collection circule toute l’année à travers le territoire local, national et international : la « bougie » de Gerhard Richter, véritable Joconde de l’IAC, à elle seule a été montrée dans sept expositions hors les murs en dix ans.

L’exposition reflète l’une des caractéristiques de la collection de l’Institut d’art contemporain à savoir l’attention portée à la jeune création. En effet, cinq des seize artistes présenté·e·s dans Chaosmose ont moins de quarante ans (certains d’entre eux/elles sont suivi·e·s et accompagné·e·s par l’IAC depuis presque dix ans). Leurs pièces sont mises en dialogue avec celles, plus anciennes, de Richard Long, Giovanni Anselmo ou Lawrence Weiner dans l’idée de mêler les générations et les pratiques. Avec du recul, l’IAC est reconnu comme un pionnier : le centre d’art a participé à la révélation sur la scène internationale d’artistes aujourd’hui incontournables. Il y a fort à parier que certain·e·s des artistes qui entrent dans la collection aujourd’hui seront les valeurs sûres de demain. Depuis la célébration en grande pompes de son trentième anniversaire, l’Institut d’art contemporain n’a cessé d’explorer de nouveaux territoires et regarder vers le futur. Plutôt qu’un bilan des dix ou des quarante années écoulées (le nom du fondateur, Jean-Louis Maubant, n’apparaît par exemple nulle part dans la présentation de l’exposition), les activités de l’automne témoignent de la vitalité de l’institution.


Exposition Chaosmose, du 5 octobre 2018 au 20 janvier 2019, Institut d’art contemporain de Villeurbanne, 11 rue Docteur Dolard, Villeurbanne – entrée 6€/4€/0€