Pour la cinquième année consécutive, l’école normale supérieure de Lyon accueille entre ses murs la master class Initiation au commissariat d’exposition en art contemporain et l’exposition qui en découle. À voir jusqu’au 17 juin.
« Défigures » est l’aboutissement d’un semestre de travail mené conjointement par cinq étudiantes (Adèle Arghyris, Ninon Johannes, Naomi Polonsky, Léa Polverini et Juliette Stella) sous la direction de Sara Vitacca et David Gauthier de l’ENS et l’équipe de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Ensemble, ils ont supervisé le projet de commissariat et abordé tous les aspects relatifs à l’exposition, de la sélection des œuvres aux supports de médiation en passant par les demandes de prêts ou le montage… Autour d’une définition inventée du mot défigures « traces de figures dérobées, entre corps fuyants et mémoire recomposées », cinq œuvres sélectionnées librement parmi la collection de l’Institut (qui en compte plus de 1700) sont présentées à La Librairie, l’espace d’exposition de l’ENS.
Composé d’une plaque en béton portant l’inscription « humiliées, abandonnées, oubliées » et d’un treillis kaki sur lequel à été cousu des cheveux naturels, Été 93 de Sylvie Blocher entend commémorer la guerre de Bosnie-Herzégovine ayant éclaté cette année là, et rendre hommage, sur le modèle de la tombe du soldat inconnu, à toutes les femmes victimes de la guerre à travers les siècles et le monde. À ses côtés, les neuf sculptures en plâtre et toile de jute de Magdalena Abakanowicz (Dos, 1978-1980) portent l’empreinte de corps disparus, saisis en position assise, recroquevillés sur eux-mêmes. Leur positionnement au sol en lignes et en colonnes évoque l’idée d’une foule anonyme, sans noms et sans visages. La présence physique de ces fragments anatomiques se dérobe lorsque le visiteur en fait le tour pour tenter d’apercevoir leur face. Recouverte des draps d’un trousseau de mariage, ORLAN réalise elle un strip-tease photographique, dévoilant cliché après cliché (la série est composée de dix-sept tirages au total, sept sont exposés) un peu plus son corps jusqu’à disparaître totalement. Connue pour questionner son identité de femme et son statut d’artiste, elle y parodie les postures et les attitudes de figures iconiques, issues principalement de la grande peinture : tantôt madone, tantôt Vénus…
Constituée de matériaux de construction (bois, plâtre, briques, cartons) et d’accessoires divers (balai brosse, bidons d’huile, espadrille) imbriqués les uns dans les autres pour former un cube parfait, The Stack (la pile/le tas en français) de Tony Cragg redonne de l’importance à des objets abandonnés par leurs propriétaires (qui ? pourquoi ? plusieurs questions restent en suspens), voués à l’oubli ou à la destruction. Chez Melik Ohanian, les personnages sont eux perceptibles, malgré les vitres qui séparent la projection (l’installation consiste en 4 moniteurs encastrés dans des caisses fermées par un écran de verre) du visiteur, mais leurs conversations restent inaudibles, seules des bribes de mot sont compréhensibles.
Usant de moyens différents, les œuvres sélectionnées convoquent l’imaginaire du spectateur pour replacer la figure au cœur (se souvenir des victimes de la guerre, reconstituer un corps à partir de fragments, reconnaître des icônes de l’histoire de l’art, s’interroger sur les propriétaires de tel ou tel objet ou écouter les témoignages de personnes lambda). L’exposition entretient un état de transition entre présence et absence.
Exposition Défigures, du 28 avril au 17 juin 2015, galerie La Librairie / École Normale Supérieure de Lyon, site Descartes, 15 parvis René Descartes, Lyon 7e – entrée libre.