Deux à deux

L’URDLA (Villeurbanne) et le Centre d’art contemporain de Lacoux dans l’Ain consacrent tous deux une exposition à Cécile Reims et à Fred Deux. Cf. deux et Roche Vive inaugurent une saison d’hommages à Fred Deux, décédé en 2015, qui se prolongera cet automne au musée des beaux-arts de Lyon et à la galerie lyonnaise Michel Descours.

Empruntant son titre, cf. deux, à la signature des œuvres conjointes de Cécile Reims et Fred Deux, dessinées par lui et gravées par elles, l’exposition à l’URDLA révèle les qualités et potentialités de la gravure dite d’interprétation – en opposition à l’estampe « originale » pour laquelle un même artiste dessine et grave sa matrice –. S’appuyant sur des prêts consentis par le musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun (qui possède le fonds le plus important d’œuvres du couple en France), Pierre Chave, éditeur et marchand historique de Fred Deux, et Cécile Reims en personne, l’exposition présente un ensemble remarquable de gravures des deux artistes couvrant plus de soixante ans de carrières respectives.

(Re)connue pour avoir interprété en gravures les dessins de Hans Bellmer ou de Leonor Fini, deux artistes surréalistes importants, Cécile Reims collabore à partir de 1972 avec Fred Deux, rencontré vingt ans plus tôt (ces trois artistes représentent approximativement les deux tiers des numéros que comporte le catalogue raisonné de son œuvre gravé). Entre ses mains, le dessin original est transposé en gravure, incisé dans le cuivre. Les deux artistes ne font alors plus qu’un.

« Cécile Reims se fait interprète comme on le dit de celle qui traduit une langue dans une autre, ou bien encore d’une chanteuse lyrique livrant sa propre version d’un rôle inscrit au répertoire. (…) À l’instar du traducteur ou du chanteur, le graveur se trouve dans une même tension entre contrainte et liberté, entre souci de l’œuvre à interpréter et choix à faire pour la transmettre à d’autres, à travers soi. » Pierre Wat, in Cécile Reims, l’œuvre gravé 1945-2011

Cécile Reims, La Chenille, 1977, coll. musée de l’Hospice Saint-Roch, Issoudun © Photo : Jules Roeser. Courtoisie de l’URDLA

Les gravures réalisées « d’après Fred Deux », selon la formule établie, accompagnent ici divers travaux personnels de Cécile Reims : Les Métamorphoses d’après Ovide, Les Psaumes illustrant un texte de Raymond Cogniat, La Chenille inspiré par l’étude de planches d’entomologie du XVIIIe siècle, Lointains et son bestiaire fabuleux… Les recueils comportant des textes ont été privilégiés ; le rapport qu’entretiennent tantôt les images avec les mots, tantôt les mots avec les images constituent le fil rouge et l’un des principaux intérêts de l’exposition. Cf. deux s’inscrit en ce sens dans la continuité du précédent accrochage, titré Confidences pour confidences, inspiré par l’étude d’une nouvelle de Stefan Zweig.

Les éléments biographiques* des deux artistes, tirés en partie de la lecture de La Gana (Fred Deux, 1958) et L’épure (Cécile Reims, 1963) qui ouvrent l’exposition, éclairent les travaux de l’un et de l’autre. À l’instar du portfolio Kaddisch, réalisé par Fred Deux en hommage à la mère de Cécile Reims décédée à sa naissance, ou de certaines motifs gravés par Cécile Reims : paysages de Judée, souvenirs de promenades le long de l’Indre près de là où elle vit, les œuvres invitent à pénétrer dans l’intimité et le quotidien du couple. Intimité renforcée non seulement par la relation artistique et amoureuse entretenue par Cécile Reims et Fred Deux mais aussi par la proximité du regard qu’oblige la finesse et la précision des gravures exposées – il faudrait une loupe pour en percevoir tous les détails – et la découverte de leur processus de création par l’intermédiaire d’une vidéo documentaire diffusée en fin de parcours.


Exposition Cécile Reims Fred Deux cf. deux, du 3 juin au 22 juillet 2017, URDLA – Centre international estampe & livre, 207 rue Francis-de-Pressensé, Villeurbanne – entrée libre.


*Cécile Reims : 1927 Naissance à Paris, passe sa petite enfance en Lituanie 1933 Retour en France 1939-1945 Cécile Reims échappe à la déportation. À la Libération, s’engage dans l’armée clandestine pour l’existence d’un État juif et part pour la Palestine 1948 Atteinte de la tuberculose, elle est contrainte de revenir en France se soigner 1950-1951 S’inscrit aux cours libres de la Grande Chaumière, devient l’élève du graveur Joseph Hecht. Première exposition. Rencontre avec Fred Deux 1962 Publication de L’Épure 1966-1975 Graveur d’interprétation pour Hans Bellmer 1972 Commence à graver les dessins de Fred Deux 1985 Le couple déménage à La Châtre (Indre), Cécile Reims alterne travaux personnels et gravures d’interprétation 2004 Rétrospective à la BNF 2011-2012 Expositions personnelles au MAHJ (Paris) et au musée Jenisch Vevey, publication du catalogue raisonné de l’œuvre gravé. Donation importante au musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun.

Fred Deux : 1924 Naissance à Boulogne-Billancourt. Les conditions de vie misérables de son enfance forment le noyau autour duquel se développe son œuvre littéraire et plastique 1943 S’engage dans la Résistance 1945 Engagement dans l’armée 1948 Découvre le surréalisme. Révélation de l’œuvre de Paul Klee. Fonde le sous-groupe des surréalistes de Marseille. Premières œuvres 1950 Rencontre André Breton, devient pour quelques années membre du groupe surréaliste 1951 Rencontre avec Cécile Reims 1958 Publication de La Gana. Poursuit son œuvre plastique en marge de tous courants 1971 Fondation avec Cécile Reims du Centre d’art contemporain de Lacoux 2015 Décès de l’artiste 2017 Expositions au musée des beaux-arts de Lyon et à la galerie Michel Descours.


Image à la une : vue de l’exposition Cécile Reims Fred Deux cf. deux © Photo : Jules Roeser. Courtoisie de l’URDLA