En août dernier, « désespéré » par l’état d’abandon dans lequel se trouve aujourd’hui la place des Terreaux dont il a cosigné le réaménagement –avec l’architecte Christian Drevet- dans les années 1990, Daniel Buren poussait un grand coup de gueule (excusez-moi l’expression) contre la mairie de Lyon.
Il s’ensuivit un vif échange entre l’artiste et le maire de la ville, Gérard Collomb, par médias interposés (le premier menaçant de mener une action en justice, le second de refaire purement et simplement la place). L’affaire avait fait grand bruit sans qu’on sache réellement -jusqu’à cette semaine- ce qui fut décidé in fine, la municipalité arguant la restauration imminente de la fontaine d’Auguste Bartholdi pour repousser encore un peu plus celle de la place, laissée depuis quinze dans un état préoccupant « d’abandon » -pour reprendre le terme de Daniel Buren- (fontaines hors d’usage, dalles de granit bringuebalantes, bandes décoratives abîmées non remplacées, élargissement de la voie de circulation…). Mercredi 9 février 2016, après six mois de silence radio, Gérard Collomb annonçait avoir pris contact avec Daniel Buren « pour travailler, ensemble, à l’avenir de ce lieu » [👁].
L’affaire Buren (la deuxième du genre après celle des du Palais-Royal à Paris) en rappelle d’autres à Lyon tout aussi retentissantes concernant la relation -compliquée- de la municipalité avec l’art installé dans ses espaces publics. Dans les années 1990, celle-ci renonçait à l’acquisition de l’Homme de la liberté du sculpteur César, installé sur la place Tolozan. Une bataille judiciaire infinie découlant de la mise en liquidation de la société commanditaire de l’œuvre s’ensuivit pour décider de son sort, la sculpture fut finalement acquise par la Fondation Bullukian, actrice majeure de l’art contemporain à Lyon, pour l’offrir gracieusement à… la ville.
Pour célébrer le passage à l’an 2000, le conseil municipal des jeunes de Lyon avait commandité une œuvre d’art sur la pointe du confluent. Ange Leccia avait réalisé pour ce lieu hautement symbolique un container en verre renfermant trois phrases écrites en néon. L’œuvre fut retirée dans le cadre de l’aménagement du musée des Confluences, on appris plus tard qu’elle avait été détruite. Aucune œuvre n’est venu la remplacer…
Les cas particuliers de Daniel Buren, de César et d’Ange Leccia, trois acteurs majeurs de l’art contemporain en France, relayés par la presse, sont ce qu’on pourrait appeler « l’arbre qui cache la forêt ». Parmi les nombreuses œuvres installées dans les espaces publics lyonnais (places, rues, jardins…), certaines se trouvent aujourd’hui dans un état alarmant (rouillées, taguées, envahies par la végétation, défraîchies, vandalisées, victimes des usures du temps et des incivilités, soit le triste sort réservé à l’art public à Lyon -comme ailleurs-) sans que personne ou presque ne s’en émeuve. Une promenade autour du quartier de la Part-Dieu, le cœur économique de la ville, permet peut-être plus qu’ailleurs de s’en rendre compte assez facilement.
Revue en photos d’exemples frappants :
Dans l’ordre les détails de quatre sculptures de Maxime Descombin (Deber, 1978), d’Alain Lovato (Signal Orange, 1978), de Josef Ciesla (Le Pollueur, 1978) et de Costa Coulentianos (Structure, 1978) installées au pied du « crayon » [ces quatre œuvres furent réalisées, parmi d’autres, en 1978 à l’occasion d’un symposium sur la sculpture en métal, accompagnant la naissance du quartier, l’une d’entre elles devenue dangereuse -officiellement- a été déposée en 1991], de la mosaïque au sol du square Bérerd cours Lafayette (Mosaïque d’oiseaux, 1998) et d’une sculpture de Xavier de Fraissinette (Universelle, 1993) placée rue Vendôme.
Six œuvres choisies parmi d’autres -presque au hasard- ayant été commanditées et/ou appartenant à la ville. Sans pour autant tirer des conclusions à partir de ces quelques exemples (plus nombreux à l’échelle de ville) sur les rapports qu’entretient la mairie -et les habitants- de Lyon avec l’art public (la municipalité ayant au cours de ses vingt dernières années aussi accru cette collection), on constate qu’une menace plane à court et moyen terme sur le patrimoine contemporain de la ville. La responsabilité de la mairie dans l’entretien de ces œuvres est directement engagée. Le constat est d’autant plus cruel que le Sytral, qui exploite les transports en commun de la métropole lyonnaise, a lui engagé ces dernières années une vaste campagne de valorisation (restauration+médiation) de son patrimoine (Armand Avril, Jean-Luc Moulène, Nicolas Schöffer…).
Si la municipalité ne peut se permettre, budget serré oblige (invoqué pour justifier le gel et la baisse des subventions à la culture ou l’immobilisme dans la récente affaire du musée des Tissus…), d’entretenir un ensemble aussi vaste, rappelons tout de même une évidence : un entretien régulier des œuvres d’art lui coûterait moins chère qu’une restauration de la dernière chance. « Quant à la durabilité d’une œuvre, quelle qu’elle soit sur et dans l’espace public, elle dépend uniquement du soin porté à sa maintenance. C’est vrai pour toutes les œuvres, qu’elles soient anciennes ou nouvelles » expliquait Daniel Buren en août.
Une prise de conscience est nécessaire ! À moins que Gérard Collomb (ou son/ses successeur/s) ne préfère directement envoyer ces œuvres d’art à la poubelle, sans s’encombrer de leur entretien, comme ce fut le cas à La-Roche-sur-Yon avec une œuvre de Carlos Cruz-Diez détruite par le département de la Vendée (comme le révélait William Chevillon, qui signe sur ce blog le grand dossier consacré à l’art dans sa ville) ou de l’autre côté de l’Atlantique, à Québec, pour une sculpture de Jean-Pierre Raynaud démolie à coups de pelleteuse. Une troisième solution est envisageable pour cacher la misère, repeindre les sculptures de couleur comme l’a fait le maire FN à Hayange. Sait-on jamais…