Malgré sa mauvaise réputation (« bourgeois », « trop calme »), le XVIe arrondissement de Paris mérite le (dé)tour, il offre en effet -entre autres choses- quelques uns des plus beaux ensembles architecturaux modernes de la capitale.
Pour s’en convaincre, il suffit d’arpenter au hasard les rues des différents quartiers de cet arrondissement : Chaillot, La Muette, Auteuil. Les plus grands architectes du XXe siècle y ont laissé leurs empreintes tels Hector Guimard, Le Corbusier, Robert Mallet-Stevens, les frères Perret ou Henri Sauvage. Du premier, les parisiens et les touristes connaissent avant tout les bouches d’accès au métropolitain, moins les bâtiments qu’il a signé entre 1890 et la fin des années 1920. En tout, pas moins de 15 hôtels particuliers et immeubles sont visibles dans un périmètre réduit, d’autres ont été malheureusement détruits. Parcours dans le XVIe arrondissement à leur recherche (carte en fin d’article).
Les débuts 1891-1895
1891 : premier hôtel parisien dessiné par Guimard, l’hôtel Roszé (34 rue Boileau) a peu à voir avec les réalisations pour lesquelles on le connaît. Dissimulé derrière de larges grilles et de superbes glycines au printemps, on peut néanmoins remarquer quelques beaux détails architecturaux : linteau sculpté, frises en céramique, usage de briques…
1893 : deuxième réalisation importante de l’architecte, la villa Jassedé (41 rue Chardon Lagache) annonce l’Art nouveau. La construction se distingue par le rejet de la symétrie, la lisibilité des volumes depuis l’extérieur, la forme de la toiture et l’emploi de matériaux divers pour la façade comme la brique, la pierre meulière, la terre cuite et le grès émaillé.
1894 : ancien atelier du sculpteur, l’hôtel Carpeaux (39 boulevard Exelmans) a été rehaussé par Hector Guimard, vingt ans après la mort de l’artiste, à la demande de sa veuve. La façade de l’immeuble est décorée de deux copies du Pêcheur à la coquille et de Flore accroupie réparties de part et d’autre d’une large baie. En partie supérieure : une élévation en briques percée d’une large ouverture surmontée d’une frise en grès. La même année, Hector Guimard signe l’austère hôtel Delfau (1 rue Molitor) et l’année suivante, l’école du Sacré-Cœur (9, avenue de la Frillière) avec ses étonnants piliers en « V ».
Le Castel Béranger 1894-1898
Chef-d’œuvre d’Hector Guimard et plus largement de l’architecture du XXe siècle, reproduit dans tous les manuels d’histoire de l’art, le Castel Béranger (14 rue Jean de La Fontaine) est l’un des manifestes de l’Art nouveau : revendication d’un art total (tant à l’intérieur qu’à l’extérieur), rejet de la planéité et de la symétrie, triomphe de la ligne courbe, prééminence des formes organiques et végétales, introduction de la « bow-window », soin extrême porté aux éléments décoratifs…
Les caractéristiques de ce qu’on appelle le style Guimard sont poussées à leur paroxysme, jusque dans les moindres détails. Parmi les éléments à ne pas manquer : les hippocampes en métal courant le long de la façade, les masques intégrés aux gardes-corps ou encore les ferronneries du portail d’entrée. Si le bâtiment obtient le premier prix de la plus belle façade de la ville de Paris en 1898, il fut aussi l’objet de nombreuses critiques et moqueries aujourd’hui oubliées.
Les hôtels particuliers
Entre 1898, date d’inauguration du Castel Béranger, et sa mort en 1942, Hector Guimard réalisa quatre autres hôtels particuliers à Paris : l’hôtel Deron-Levent (28 villa de la Réunion) en 1907, l’hôtel Mezzara (60 rue Jean de La Fontaine) en 1909, l’hôtel Guimard (122 avenue Mozart) quatre ans plus tard et une villa au 3 square Jasmin en 1922.
Construit à la suite de son mariage avec Adeline Oppenheim, une peintre américaine, l’hôtel Guimard fut à la fois le domicile du couple et le bureau d’Hector Guimard. La façade est rythmée par une série de baies et de portes aux formes courbes toutes uniques et de différents balcons. Un soin particulier fut porté aux détails (soupiraux, encadrement de la porte d’entrée, ferronneries, lanternes…). À la mort de l’architecte, sa veuve voulut le transformer en musée, l’état refusa, plusieurs dons furent consentis (la salle à manger est ainsi conservée/visible au Petit Palais, la chambre au musée des Beaux-arts de Lyon), le reste du mobilier fut dispersé. Divisé en appartements, entièrement reconfiguré, laissé dans un état quasi critique (signature devenue illisible, ferronneries oxydées, dégradation de la façade), l’hôtel Guimard a perdu de son lustre.
Les immeubles
Moins exceptionnels que les hôtels particuliers, à l’exception peut-être de l’immeuble Jassedé construit en 1903 (142 avenue de Versailles), Hector Guimard signa plusieurs immeubles dans la capitale. Le plus grand ensemble immobilier, situé entre l’hôtel Mezzara et le Castel Béranger en compte pas moins de six (17, 19 et 21 rue Jean de La Fontaine, 8, 10 rue Agar, 43 rue Gros). Plus sobre que ses réalisations précédentes, Hector Guimard reste cependant attentif aux détails (décors végétaux discrets au-dessus de chaque entrée principale, ferronneries délicatement traitées, bow-windows aériennes…).
Progressivement les caractéristiques de l’Art nouveau et du style Guimard inimitable disparaissent : les façades deviennent plus anguleuses et les éléments décoratifs se font de moins en moins nombreux. Les différences sont flagrantes entre l’immeuble Trémois (11 rue Millet) construit en 1909 et les réalisations des années 1920 comme le 18 rue Henri Heine, la villa Mozart (120 avenue Mozart) ou le 36-38 rue Greuze, la dernière réalisation d’Hector Guimard à Paris.
< 👁 : Du japonisme à Hector Guimard, l’influence des arts graphiques japonais dans l’Art nouveau, par Aurélien Vret >
Pour être complet sur les réalisations architecturales d’Hector Guimard à Paris (il a par ailleurs réalisé plusieurs constructions en banlieue parisienne et en régions), il faut signaler la synagogue au 10 rue Pavée (IVe arrondissement) et l’immeuble de bureaux du 10 rue de Bretagne dans le IIIe. De nombreuses bouches d’accès au métro sont encore visibles à Paris, la plus belle conservée est celle de la station Dauphine. Pour finaliser ce parcours, une visite s’impose au Petit Palais ou au musée d’Orsay qui conservent tous les deux une collection exceptionnelle de mobilier Hector Guimard. Retrouvez tout sur la carte :