Château d’Oiron : curiosités et merveilles

« On reconstitue le passé […] et nous avons besoin de recoudre les morceaux de l’avenir. »* Quand il s’entretient au sujet de Ruines d’avenir, Michel Butor évoque l’intervention littéraire et artistique du projet comme révélatrice de ce que nous ne percevons plus de la tenture de l’Apocalypse conservée au château d’Angers. La création donne à voir et à lire une approche sensible offrant à la fois compréhension et actualisation d’un legs du XIVe siècle. Et si le rapport entre patrimoine ancien et art contemporain est parfois conflictuel, bien des exemples tels celui-là ont montré que les deux étaient conciliables. C’est le cas du château d’Oiron dans le département des Deux-Sèvres.

Construite à la lisière du Poitou et du val de Loire, la demeure de Guillaume Gouffier a connu de nombreux bouleversements. Aussi, il ne subsiste que peu de choses du bâtiment construit sur la terre d’Oiron reçue de Charles VII en 1449. À compter du XVIe siècle Oiron va connaitre un essor remarquable. De ce siècle, subsiste l’aile nord du château ainsi que l’escalier Renaissance englobé au XVIIe siècle. La Révolution engendra une série de mutilations dont le château aura du mal à se remettre. Malgré de nombreuses inquiétudes au XIXe siècle, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les premiers grands travaux de sauvegarde et de restauration commencèrent pour plusieurs décennies.

Kane Kwei, Le Homard, L'Aigle, château d'Oiron. Photo : William Chevillon
Kane Kwei, Le Homard, L’Aigle, château d’Oiron. Photo : William Chevillon

Là où le mobilier et de nombreux décors avaient disparu, le ministère de la Culture décida de lancer la création d’un fonds permanent d’art contemporain inauguré à partir de 1993. Bien davantage qu’un programme ex nihilo, le projet Curios & Mirabilia (curiosités et merveilles) prolonge la riche histoire du château et le dessein de ses illustres occupants. Au-delà en effet d’un appel à des dizaines d’artistes, il s’est agi de donner corps et actualité au cabinet de curiosités disparu de Claude Gouffier (XVIe siècle). La déambulation dans les 46 espaces du château nous invite à explorer les anamorphoses de Piotr Kowalski et Markus Raetz, le bestiaire monstrueux de Thomas Grünfeld ou encore la Naissance du Monde vue par Erik Detman. Par sa diversité, Curios & Mirabilia répond aux différents domaines que recoupe un cabinet de curiosités.

La science y est par exemple magnifiquement illustrée par une série de 365 Brûlures solaires de Charles Ross. L’artiste américain présente 365 panneaux blancs exposés au soleil du Nouveau Mexique à travers une lentille. Chaque panneau journalier a une brûlure qui lui est propre selon le temps, les saisons etc. De cette expérimentation résultent des courbes et des intensités qui nous laissent imaginer un passage nuageux ou bien une journée parfaitement lumineuse. L’astronomie est en quelque sorte revisitée, non sans liens avec certains fondements scientifiques qui reposent beaucoup sur la déduction quels que soient les moyens pour y parvenir. Cette même notion d’expérimentation accompagnée d’un heureux hasard se retrouve dans l’œuvre de Bill Culbert. L’histoire veut que l’artiste, lors d’un apéritif entre amis, découvrit que les verres d’alcool exposés à la lumière sous un certain angle, renvoyaient le motif d’une ampoule et de son filament sur un support plat. Si cet événement conditionne une part importante de l’œuvre, il s’inscrit parfaitement dans l’esprit d’Oiron avec une multiplication du phénomène dans une salle dédiée où le spectateur est amené à percevoir le jeu optique. La perception est en effet importante à Oiron. Plusieurs artistes en sont les artisans comme Felice Varini avec ses anamorphoses ou Philippe Ramette dont le Point de vue et le Balcon sont des détournements poétiques et décalés de notre rapport au monde.

Daniel Spoerri, Corps en morceaux, 1991-1993, château d'Oiron. Photo : William Chevillon
Daniel Spoerri, Corps en morceaux, 1991-1993, château d’Oiron. Photo : William Chevillon

Qui dit cabinet de curiosités, dit accumulation d’expériences, mais également d’objets originaux en lien avec différentes cultures : le domaine naturaliste, les batailles etc. L’impressionnante salle d’Armes en est l’un des exemples les plus frappants avec les Corps en morceaux de Daniel Spoerri qui évoquent à la fois les armures disparues du château et nous confrontent à la réalité absurde et proche de la guerre. Loin du prestige du plafond à poutres peintes, les trophées démembrés et sinistres parlent par les objets récupérés dont ils sont faits, du crucifix à la prothèse et du crâne de buffle au panneau de volet. Le lien avec la mort n’est pas loin également dans la chapelle haute qui expose deux cercueils animaliers de Kane Kwei tandis que la chapelle basse abrite la série photographique Formol’s Band de Patrick Bailly-Maître-Grand.

Mais l’accumulation, si elle évoque l’Histoire et les traditions, n’est pas pour autant centrée sur la mort. À ce titre, l’humour délicieusement corrosif de Wim Delvoye détourne le principe du vaisselier en mettant en exergue 41 scies circulaires de Delft. Raoul Marek a lui créé un ensemble de vaisselle où chaque pièce unique reproduit la silhouette du visage et les lignes de la main gauche d’un habitant d’Oiron. Chaque année au 30 juin, les 150 habitants volontaires sont conviés à un repas autour de l’œuvre dont ils sont les acteurs et sans lesquels elle n’existerait pas. Ainsi se crée le lien fragile, car limité à la vie, entre la création artistique et chaque personne. Plus tard, et comme pour les portraits d’écoliers de Christian Boltanski, l’œuvre témoignera de l’Histoire du château comme le château témoigne déjà de ceux qui l’ont fait vivre depuis des siècles.

Galerie des Peintures, XVIe siècle. Représentations de la guerre de Troie attribuées à Noël Jallier (mi XVIe siècle)
Galerie des peintures, XVIe siècle, représentations de la guerre de Troie attribuées à Noël Jallier. Photo : William Chevillon

Deux autres œuvres contemporaines méritent d’être évoquées tant elles illustrent que, par la collection Curios & Mirabilia, le château d’Oiron donne actualité à son passé. L’aile nord abrite une galerie exceptionnelle dans laquelle figurent des représentations murales de la guerre de Troie attribuées à Noël Jallier (fin des années 1540). Miraculeusement préservées, les peintures surprennent par leur ampleur bien que les dégradations du temps soient passées par là. C’est dans cette galerie que George Ettl a réhabilité une autre production peinte propre à Oiron. Hélas disparues, les représentations du XVIe siècle des plus beaux chevaux du roi ont été recréées dans leur esprit en 1992. C’est un lien à la guerre plus actuel qu’a choisi Ian Hamilton Finlay en reproduisant la bataille de Midway (1942). A mesure que l’on s’approprie la salle, le bruit des ruchers se révèle être celui des bombardiers et la forme bucolique prend un tournant meurtrier. Prégnante et déstabilisante, l’œuvre est à l’image d’un lieu de prestige apparent où l’art contemporain n’est pas seulement observé mais vécu intimement par celui qui y est confronté. C’est là que l’on se rappelle que le cabinet de curiosités et la richesse intellectuelle ne sont pas seulement des éléments de gloire, mais aussi des moyens de réflexion sur l’Homme, son rôle et sa condition.

*Michel Butor, entretien avec Mireille Calle-Gruber à propos du livre Ruines d’avenir –co-signé par Bernard Alligand, Patricia Erbelding, Bertrand Dorny, Anne Walker, Maxime Godard et Gérard Eppelé-, diffusé le 15 février 2016 (intervention à 7″20)


Château d’Oiron, centre des monuments nationaux, Oiron (Deux-Sèvres). Collections 7,50€/0€.


Aller plus loin : album-photos d’une visite au château d’Oiron, par William Chevillon