Shadi Ghadirian : l’art comme acte de résistance

En résonance avec la manifestation Créer, c’est résister, la bibliothèque municipale de Lyon Part-Dieu consacre une exposition à la photographe iranienne Shadi Ghadirian. À (re)voir jusqu’au 9 janvier.

L’exposition Rétrospective réunit les principales œuvres de l’artiste, née en 1974 à Téhéran : depuis la série photographique Qajar (1998) qui l’a fait connaître sur la scène internationale jusqu’à la dernière installation-vidéo en date, Une trop bruyante solitude (2015). Avec Shadi Ghadirian, la bibliothèque municipale de Lyon renoue avec son engagement en faveur de la photographie contemporaine, après avoir exposé Raymond Depardon en 2008, James Nachtwey en 2010 et Martin Parr en 2012…

La photographie choisie pour assurer la promotion de cette exposition (voir l’image à la une) est tirée de la série Nil, Nil (2008) : elle montre dans l’embrasure d’une porte deux paires de chaussures, des escarpins rouges d’une part et des bottines d’homme de l’autre, tout à fait normales en apparence. Il faut se rapprocher pour distinguer la présence de sang sur l’une d’elles. Chez Shadi Ghadirian, le détail fait sens, dans cette série tout particulièrement : un filet de peluches retient un masque à gaz, un sac de femme cache une cartouche, une grenade explosive prend place dans une corbeille à fruits… Hantée par les souvenirs de la Révolution (qu’elle a vécue à l’âge de cinq ans) puis du conflit Iran-Irak, l’artiste a souhaité avec cette série évoquer la guerre « d’un point de vue féminin », selon ses propres mots, loin des champs de bataille et montrer son incidence dans l’environnement domestique. Les œuvres de Shadi Ghadirian puisent essentiellement leur source dans des situations du quotidien, et se développent à partir d’objets familiers (iconographie des magazines de mode, vestiaire féminin, icônes informatiques) reconnaissables par tous.

Image à la une : Shadi Ghadirian, Qajar, 1998 © Shadi Ghadirian/courtesy Silk Road Gallery

Shadi Ghadirian envisage l’art comme un acte de résistance, elle développe depuis plus de vingt-cinq ans une œuvre « engagée », questionnant en particulier le statut de la femme dans l’Iran d’aujourd’hui (inégalités entre hommes et femmes, port du foulard obligatoire en public, tabous à propos de la sexualité…) : ses principales séries dénoncent -tout en évitant soigneusement la censure- les interdits qui leurs sont imposés aujourd’hui, révélant les paradoxes d’une société entre tradition et modernité, attrait et rejet de l’Occident… « Il n’est pas facile d’être une femme ; il est moins facile encore, en Iran, d’être une femme photographe qui travaille sur la condition féminine. Le rêve de travailler pour l’amélioration de notre condition se heurte sans cesse au fait même d’être femme. Restrictions et obstacles sont partout » explique l’artiste.

Au travers de mises en scène particulièrement soignées, l’artiste dresse un portrait de la société iranienne contemporaine. Qajar, la première série de l’artiste -et la plus connue (ces images furent les premières à sortir d’Iran après la Révolution)- qui emprunte son esthétique aux premières photographies, celles de l’ère Qajar soit avant 1925 (tons sépias, poses statiques), met en scène des femmes portant des vêtements traditionnels du XIXe siècle posant avec des objets contemporains proscrits (canette de pepsi, livres censurés, vélo…) opérant un renversement entre le passé et le présent. Avec cette série au succès retentissant (en Iran comme à l’étranger), Shadi Ghadirian a ouvert la voie à une nouvelle génération de femmes-artistes/photographes.


Shadi Ghadirian, Rétrospective, du 8 octobre au 9 janvier 2016, bibliothèque municipale Lyon Part-Dieu, 30 boulevard Vivier-Merle, Lyon 3e – entrée libre.


Image à la une : Shadi Ghadirian, Nil, Nil, 2008 © Shadi Ghadirian/courtesy Silk Road Gallery