Lieu de vie et de travail de Gustave Moreau (1826-1898), transformé en musée selon ses dernières volontés, l’hôtel du 14 rue de la Rochefoucauld renferme l’ensemble des recherches de l’artiste. À l’occasion de la réouverture du rez-de-chaussée, fermé au public depuis 2002, visite d’un musée pas comme les autres.
À partir de 1895, Gustave Moreau entreprit de léguer à l’état français et la postérité l’intégralité des peintures, dessins, mobilier etc. que son hôtel contiendrait à sa mort. Il souhaitait que l’ensemble de ses recherches soient conservées dans un même lieu pour préserver leur caractère d’ensemble. Il chargea l’architecte Albert Lafon de transformer la demeure familiale, achetée par son père en 1852, en musée, c’est à dire réaliser les aménagements nécessaires à la présentation de ses œuvres et à l’accueil du public. Gustave Moreau consacra les dernières années de sa vie à mettre au point l’accrochage. Plus d’un siècle après son ouverture au public, le musée a conservé son aspect d’origine : la muséographie et les aménagements sont ceux voulus par l’artiste. Une visite au musée Gustave Moreau offre un véritable voyage dans le temps.
Lieux de vie de l’artiste et de sa famille jusqu’à leur mort, les deux premiers niveaux ont gardé leur compartimentation selon leur affectation : bureau, chambre à coucher, salle à manger, boudoir, dont la présentation, notamment la profusion de mobilier ou de décor, trahit les aménagements de Gustave Moreau. Les deux étages supérieurs abritent eux de grands ateliers reliés par le fameux escalier métallique à vis. La profusion des toiles interpelle le visiteur : pas un seul mur vide n’est ménagé et ce dès le hall d’entrée. Les salles sont pleines à craquer, les toiles reléguées jusque derrière les portes. Les œuvres graphiques sont présentées grâce à des dispositifs ingénieux (panneaux pivotants, volets mobiles en accordéons encastrés dans l’épaisseur des murs) permettant d’optimiser l’espace. Entre 6000 et 7000 œuvres -peintures, dessins, sculptures, gravures, aquarelles, photographies- sont en théorie, la plupart des présentoirs étant cadenassés, visibles par le public, comme si Gustave Moreau avait souhaité que le plus de pièces possibles soient visibles en même temps.
À l’exception du premier étage où la répartition des œuvres dans les salles est organisée selon des thématiques : collections de l’artiste (antiques, ouvrages rares) et copies d’après les maîtres réalisées lors de son séjour en Italie ou au cours de visites au musée du Louvre (Carpaccio, Botticelli, Raphaël…) dans le bureau, musée personnel de Gustave Moreau dans le couloir, et souvenirs familiaux dans la chambre, il est difficile de mettre en avant un fil rouge. Les œuvres sont réparties sans cohérence, ni indication chronologique (la plupart des œuvres ne sont d’ailleurs pas datées), ainsi on pourra trouver sur des niveaux différents un tableau et ses études préparatoires.
À la différence d’un musée classique où la quasi-totalité des toiles sont des œuvres achevées, le musée Gustave Moreau repose sur le fond d’atelier laissé par l’artiste à sa mort. Par conséquent aucune de ses œuvres, à l’exception des dons réalisés au XXe siècle, ne fut vendue de son vivant (et pour la plupart même pas exposées). L’accrochage révèle donc la part secrète de l’art de Gustave Moreau : esquisses, ébauches préparatoires, toiles inachevées… L’ensemble des thèmes développés par Gustave Moreau se côtoient. Les figures mythologiques (Jason, Orphée, Diane, Léda, Hélène, Danaé, Jupiter), bibliques (Eve, Moïse, Saint Jean Baptiste, les rois mages) et littéraires cohabitent au sein d’un même lieu. L’œuvre de Gustave Moreau reflète la solide culture classique de son auteur, ainsi que son goût pour l’histoire et les mythes, parfois difficiles à appréhender aujourd’hui. Parmi les centaines de toiles accrochées aux murs, l’amateur saura reconnaître quelques uns des chefs d’œuvres de l’artiste : Jupiter et Sémélé, L’apparition, le polyptique de La Vie de l’humanité…
L’accrochage permet non seulement de saisir l’étendue de la carrière de Gustave Moreau, depuis ses premiers essais à ses œuvres ultimes, l’ampleur des sujets abordés, mais aussi la diversité des techniques et outil employés : crayons, mine de plomb, encres, sanguine, pierre noire, craie, fusain, pastels, aquarelle, gouache, peinture à l’huile… Son œuvre se révèle être tout à la fois académique, romantique, symboliste, tout en préfigurant les avant-gardes du XXe siècle (Gustave Moreau eut pour élève à la fin de sa vie Henri Matisse ou Georges Rouault).
Gustave Moreau est assurément un artiste éclectique qui développa une œuvre singulière, reconnaissable entre mille, empruntant aux maîtres des éléments de style (ses copies lui offrant un répertoire iconographique de formes), amalgamant plusieurs influences (de la peinture antique aux miniatures indiennes). Une visite dans ce beau musée permet de saisir la richesse d’une œuvre foisonnante qui se révèle impossible à classer et qui ne saurait en aucun cas se laisser enfermer dans la case du « symbolisme » attribuée par les historiens de l’art.
Musée national Gustave Moreau, 14 rue de la Rochefoucaul (75009). Ouvert Ouvert tous les jours sauf mardi, lundi-mercredi-jeudi de 10h à 12h45 et de 14h à 17h15 ; vendredi-samedi-dimanche de 10h à 17h15 sans interruption. Entrée : 6€/4€/0€.