Parmi tous les artistes contemporains s’étant inspiré de modèles antiques (voir notre tumblr quand l’art grec inspire l’art contemporain), Jeff Koons est sans nul doute le plus connu. Réalisée entre 2012 et 2013, la série Gazing ball, la dernière en date de l’artiste, fait dialoguer l’histoire de l’art classique avec la pop culture.
Parmi la vingtaine de pièces que compte la série Gazing ball, plus de la moitié reprennent des modèles antiques : Apollon lycien, Ariane endormie, lutte entre centaure et lapithe, Vénus accroupie, faune endormi, Hercule au repos ou Silène portant Dionysos enfant. Chacun de ces modèles à connu une postérité certaine depuis l’Antiquité, il en existe aujourd’hui d’innombrables répliques disséminées aux quatre coins du globe. Le Faune Barberini à ainsi notamment inspiré Edme Bouchardon au XVIIIe siècle et plus proche de nous des artistes comme Christo et Jeanne-Claude ou Elmgreen & Dragset. Outre le statut iconique de ces œuvres (quoiqu’on ne retrouve ni la Vénus de Milo ni le Discobole), on ne peut s’empêcher de penser aux éventuelles références autobiographiques qui aurait pu guider l’artiste vers tel ou tel modèle, notamment en ce qui concerne le Silène portant Dionysos enfant, d’autant que la figure humaine avait disparu de l’œuvre de Koons depuis plus de vingt ans.
Jeff Koons s’est approché de prestigieux ateliers de moulages en Europe pour faire exécuter des copies de belle qualité de ces œuvres antiques, il a notamment fait appel à l’expertise de l’atelier d’art de la réunion des musées nationaux en Seine Saint Denis, garant d’un savoir-faire séculaire. Quatre Gazing balls parmi lesquelles le Silène portant Dionysos enfant ont été produites en France (cocorico), elles ont été réalisées à la main à partir de moulages anciens. Jeff Koons et son équipe ont mis au point une formule -mélange de plâtre et de résine essentiellement-, pour obtenir une teinte plus blanche que le marbre et plus résistante que la pierre.
L’artiste superpose à ces modèles un globe réfléchissant en verre soufflé d’un bleu profond directement inspiré d’un accessoire, inconnu en France mais très répandu outre-Atlantique, utilisé pour décorer les jardins notamment en Pennsylvanie où il a grandi. Délicatement posé sur le corps de ses statues, sur l’épaule de l’Hercule Farnèse ou sur le genou du Faune Barberini par exemple, les gazing ball réflètent leur environnement : la présence du visiteur participe activement à l’œuvre.
En mêlant des répliques de statues classiques avec un élément de décoration produit en grande masse (réactivation du ready-made tel que l’envisageait Duchamp) c’est à dire en faisant dialoguer l’ancien et le contemporain en même temps que l’histoire de l’art classique et la pop culture, Jeff Koons interroge le statut de l’œuvre d’art. Quand on y réfléchit, nombre de copies antiques furent et sont encore utilisés comme éléments décoratifs dans les parcs et jardins (une balade au jardin du Luxembourg par exemple le démontre). D’ici aux banlieues de Pennsylvanie, il n’y a qu’un pas.
L’artiste questionne aussi le processus de reproduction et le rapport entre l’original et la copie : la plupart des modèles grecs antiques repris dans Gazing ball ne sont d’ailleurs connus que par d’abondantes copies d’époque romaine. En répliquant à son tour ces statues, Jeff Koons ne fait que remettre au goût du jour une technique qui à joué un rôle majeur dans la reproduction et la diffusion des œuvres d’art et participe activement à la (re)découverte par le grand public des beautés de la sculpture gréco-romaine.