La fréquentation assidue des artothèques, musées, centres d’art, galeries, fondations, ateliers procure l’irrésistible envie d’en partager les richesses. Une fois par trimestre (ou moins), en lien ou non avec l’actualité culturelle, focus sur une œuvre d’art contemporain choisie parmi les collections d’une structure culturelle de la région lyonnaise.
Depuis sa création en 1978, l’URDLA (Villeurbanne) a accueilli plus de 350 artistes en résidence, imprimé près de 2000 estampes et publié une centaine d’ouvrages. Les trente-sept volumes des « livres de peintres » constituent la collection la plus remarquable du Centre international estampe & livre. Contenues dans un coffret en bois, ces éditions précieuses aux formats singuliers font généralement dialoguer image et texte, plasticien et auteur (Paul Hickin/Bernard Noël, Claudio Parmigianni/William Butler Yeats, Myriam Mechita/Virginia Woolf…). Édité en 1989, Sténopés de Bruno Yvonnet regroupe douze lithographies petit format (13 centimètres de large, 9 de haut), numérotées, dans une enveloppe signée par l’artiste. Une édition en fac-similé a été réalisée la même année par la galerie Berggruen (Paris).
Chaque estampe présente une vue d’un monument de Rome : la basilique Saint-Pierre, le cimetière de Campo Verano, les thermes de Caracalla, l’église Saint-Laurent… L’artiste a préféré aux lieux emblématiques de la ville éternelle comme le Colisée, le forum romain, le Panthéon ou la fontaine de Trévi des constructions moins célèbres. Réduites le plus souvent à une simple silhouette ou à quelques détails, celles-ci sont par ailleurs difficilement identifiables sans lire leur titre.
Les Sténopés invitent à un circuit touristique dans la Rome antique et chrétienne, sur les traces des empereurs et des saints chrétiens : la numérotation des images semble renvoyer aux guides de voyage et leur format à celui de cartes postales touristiques. On peut imaginer au titre que les lithographies reproduisent des sténopés prises par l’artiste, c’est-à-dire des photographies obtenues avec un appareil rudimentaire, souvent bricolé à partir d’une boîte en carton quelconque. Dix ans avant Bruno Yvonnet, Rodney Graham produisait une série de vues romaines avec un matériel similaire (Rome Ruins, 1978) ; l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, voisin de l’URDLA, conserve deux tirages. Exécutées en réalité « à partir de croquis faits sur place » (comme nous l’apprend la note accompagnant l’édition), ces images évoquent le Grand tour accompli par des générations d’artistes à la suite notamment de l’obtention du prix de Rome.
Reproduits sur la pierre calcaire lithographique, chaque dessin a été tiré sous presse à l’URDLA à 50 exemplaires. Toutes les nuances de noir et de blanc sont obtenues grâce à une technique dérivée de la gravure sur métal appelée « manière noire », mise au point au dix-septième siècle, que Bruno Yvonnet affectionne (plusieurs estampes réalisées par l’artiste avec cette technique ont été éditées par l’URDLA). Sur un principe similaire aux cartes à gratter, l’artiste part du noir et récupère les blancs en retirant partiellement le gras du crayon ou de l’encre déposé sur le support. Le choix des lieux ainsi que les effets de clair-obscur procurent à ces images une dimension intemporelle. Aucun élément ne trahit leur contemporanéité, comme s’il pouvait s’agir de réalisations anciennes tirées d’un album d’amateurs d’estampes.